LETTRE À QUELQUES HABITANTS de GO70

luca merlini

56 rue de l’amiral roussin

75015 paris

lmerlini@noos.fr

LETTRE À QUELQUES HABITANTS de GO70

10 rue des coccinelles,

68160 SAINTE-CROIX-AUX-MINES

Paris, le 5 octobre 2008

Une maison existe si on l’habite, une maison existe si on envoie des lettres à ses habitants, même si on ne sait pas très bien qui sont ces (ses) habitants. Recevoir du courrier, faire passer le facteur (pour autre chose que les inévitables factures), tout cela a peut-être aujourd’hui un petit air démodé. Toutefois, cela participe à transmettre l’idée qu’habiter, c’est aussi dire : « tiens, il y a du courrier » et regarder le tampon en essayant de deviner, avant même d’ouvrir l’enveloppe, qui a pensé à celui qui habite là….

Dès qu’Olivier G. m’en a parlé, j’ai bien aimé l’idée « d’occuper » GO70. À la fois parce que je trouvais belle cette initiative, mais aussi pas amitié pour les 3 complices associés de G.studio, tranquilles dynamiteurs de certitudes. Je me suis donc immédiatement plongé dans la recherche d’idées pour « m’installer » dans GO70. J’ai pensé à plusieurs projets, y compris celui d’y venir quelques jours pour simplement n’y rien faire. « En vacances », « dolce farniente », comme on dit. Certaines interventions imaginées avaient lieu, évidemment, sur place. Mais, je m’en suis rendu compte peu à peu, plusieurs étaient en réalité « délocalisées » : une manière de faire vivre la maison sans y aller. Qu’est-ce que cela pouvait bien vouloir dire…

En fait, avais-je vraiment l’intention d’aller à GO70 ? N’avais-je plutôt envie de donner une forme « plus littéraire » à cette manière d’habiter. J’étais plus attiré par des états qui consistent à, comment pourrait-on dire, « habiter une idée », « construire un séjour imaginaire », « faire un voyage en chambre ». Un peu comme les livres ou les projets que j’élabore dans mes demis-sommeils et qui sont bien meilleurs que ceux que je concrétise vraiment. D’où pouvait venir cet état d’esprit. Paresse, art de l’esquive, frilosité (par ailleurs, frilosité plus climatique qu’intellectuelle : il est vrai que je mettais – souvenir de certains hivers alsaciens… pourtant dieu sait qui m’obligerait à aller à Sainte-Croix-aux-Mines en hiver - autour de cette maison un climat rugueux, comme une version sous-titrée d’Into the Wild), réticence insurmontable d’urbano-maniaque… Chi lo sà ?

Une histoire à propos d’Alain Robbe-Grillet me revient en tête. Elle est peut-être le début d’une explication. Robbe-Grillet avait –semble-t-il- réchappé à un accident d’avion. Lorsqu’il faisait le récit de cette aventure, il le faisait avec grande simplicité en restant extrêmement factuel. Rien à voir avec ses romans à l’imbrication narrative complexe. Cette distance entre le récit d’une chose vécue et le récit de l’œuvre, Robbe-Grillet l’expliquait, à ses auditeurs surpris de ne pas reconnaître dans la vie l’auteur Robbe-Grillet, comme une chose finalement normale, de la même manière que le compositeur d’opéra n’achète pas son pain en chantant (« je voudrais une baââââguette bien cuiuiuiuiuiuiuite).

Revenons donc un instant sur ce qu’auraient pu être certains de ces projets.

PRISONNIER OU ACROBATE : L’un consistait à être un mode d’emploi de la maison sur 24 heures. Le personnage – appelons LM - déroule derrière lui un fil (rouge, 1mm de diamètre). Tous ses déplacements et actes sont ainsi spatialisés par une ligne tendue. À certains endroits très banals, une étiquette est posée, comme pour rappeler un usage : ROBINET EAU CHAUDE, TOURNER VERS LA DROITE / FAUTEUIL POUR REGARDER LA VUE / …. Après 24 heures, l’intérieur de la maison serait devenu un tissage de gestes fossilisés dans l’espace. Une prison dans une maison libre, que le cohabitant ou l’habitant suivant doit démonter ou contourner. Dans le 1er cas, il sera le voleur du moment de la vie d’un autre, dans le second cas, il sera l’acrobate de sa propre vie… Par ailleurs, je découvre sur le site http://occupationmaximale.gstudioarchitecture.com, une intervention d’Aurore B (est-elle une des possibles habitantes que cette lettre pourrait atteindre ???), en date du 25 septembre et qui s’appelle FIL TENDU : comme quoi, il apparaît que les fils tendus finissent aussi par former un réseau…

illustration lettre 1

PRODUITS DERIVES : Un 2ème projet consistait à s’installer quelques jours et les passer à fabriquer des produits dérivés sur le thème de GO70 : cloche de verre dans laquelle il neige lorsqu’on la retourne, T-shirt avec vues de la maison imprimés dessus, petites maquettes en carton à monter, lunettes avec monture rappelant les courbes de 2 maisons juxtaposées. Ces objets maladroits et kitsch auraient été laissés en forme de petits cadeaux de bienvenue aux futurs habitants. Encore faudrait-il être bricoleur pour réaliser ces pièces. Parmi les projets délocalisés, on trouvait une intention similaire, mais traitée à l’envers. À partir des documents connus diffusés sur le net ou ailleurs, construire / dessiner / fabriquer des représentations de la maison ou de son environnement. Avec évidemment toutes les marges d’interprétation, d’erreurs et d’enrichissements liées à de tels processus grandement intuitifs.

illustration 2 lettre1

D’autres opérations ont été envisagées, comme celle de demander au hasard à des inconnus, fréquentateurs de bars, passants, patients de dentistes, TGVistes, portables-addicts et altri tutti quanti ce que pourrait signifier, pour eux, le sigle GO70, ou le nom rue des coccinelles, ou l’expression de maisons en voûte, ou de piémont alsacien… Et constituer ainsi une sorte de lexique décalé de la domesticité ou un grand kaléidoscope d’intuitions.

Mais il y avait dans tout cela quelque chose de « l’oeuvre d’art » qui risquait de faire de GO70 autre chose qu’une maison : un petit centre culturel dans lequel le discours devenait plus important que la vie. L’originalité de GO70 est paradoxalement d’être banalement un lieu de vie, avec un facteur, un livreur de pommes, des amis qui passent, une odeur de manufacture de papier (ce bon vieux papier qui porte cette lettre : début ou fin de parcours ?) qui traîne (c’est le site http://occupationmaximale.gstudioarchitecture.com qui me l’a appris), un lit, un grand plancher, des choses pas finies, des curieux, des voisins,… et peut-être même des HABITANTS.

Alors l’idée de la lettre a fini par devenir évidente. Être banal et humain, raconter sa journée. Comme dans un maison normale, même si elle ne l’est pas. Parce que le paradoxe de GO70 me semble le suivant : elle essaie d’inventer la normalité de demain et donc est forcément hautement anormale aujourd’hui. Elle essaie d’inventer des modes de vie du quotidien autres que ceux des années-gaspillages que l’on vient de traverser et dans lesquels la culture du dominant a tant prévalu. Et voilà qu’arrive une série de maisons, un brin animalesques dans leur manière de se poser sur le sol, qui invitent par la douceur de leur forme, leur « immuralité », leur matérialité, à vivre un peu autrement. C’est cet effet-bombe du banal qui m’intéresse et qui simplement me fait dire que GO70 ne doit surtout pas devenir une œuvre artistique.

Je vois passer des prénoms et noms – aurore b, julie v, magali o, c gier, stephanie t - , je vois passer des classes d’enfants, des autoconstructeurs. À interpréter ce que ces personnes racontent, on sent que le regard passe peu à peu de la maison (son touché, son approche, son appropriation…) à autre chose : au récit de fragments et de moments de vie. GO70 a gagné : on cesse peu à peu de parler d’elle, car elle n’est plus le sujet, mais un lieu…

Puisque qu’elle est maintenant lieu, et même lieu « habité », je me permettrai d’envoyer de temps en temps d’autres lettres…

Amicalement

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