OCCUPATION MAXIMALE

On est arrivée à Sainte Croix aux Mines dans l’obscurité de la nuit, demi-gélées à cause des ouvertures encore sans vitres. On a déjà passé quelques journées à la maison en faisant l’autoconstruction des mobiliers, mais l’expérience de la maison dans la nuit était une surprise. Durant la journée, on s’extasie sur la dissolution des frontières, le métissage de l’espace artificielle et l’espace naturelle. Par contre, dans la nuit, ce n’est pas la nature avec qui on partage l’espace. C’est la rue.

La belle vue des montagnes fondaient à l’obscurité, laissant seulement l’espace éclaircie de la rue – une espace étroite et abandonnée, un « autrui » inconnu et au même temps familier. La lumière du lampadaire s’imposait dans notre mobilier de couchage, les bruits de l’autoroute semblaient agrandis, et c’était les voix humaines qui nous réveillaient au matin, pas les oiseaux. On était englouties dans une espace mi-public; on faisait partie de la rue.

Le matin, 8 septembre

Notre petit déjeuner à rue des Coccinelles était un événement public. En avant, chaque voiture en passant ralentissait pour nous observer. A l’arrière, les vélos et baladeurs nous scrutaient. Il semble qu’on habitait dans un panoptique – un prison qui s’opère sans besoin des gardiens, utilisant le pouvoir du regard pour maintenir le contrôle.

Ca me rappelle de l’analyse de Foucault des audiences publics du moyen-age (Surveiller et punir), où la présentation de l’accusé devant le public établait la culpabilité même avant une procédure. Le regard des passants nous transforme en des objets démunis et sans action. Pour reconquérir l’action, on les engage dans la conversation. Même avec un « bonjour », on s’affirme.

Quand les menuisiers sont partis nous laissant une espace enfermée, on retrouvait la confiance en soi: on avait une espace définie qui nous appartient. Même si notre vie domestique était encore exposée, on savait bien qu’on habitait dans une espace privée et légitime.

Stephanie Tam, publié le 11 septembre